Le musicien des musiques actuelles
Le musicien des musiques actuelles
Entretien
« Le musicien des musiques actuelles »
avec Gérôme Guibert, Philippe Coulangeon et Stéphan Le Sagère Animateur du débat : Gilles Castagnac Retranscription : Emmanuelle Coste
Cette retranscription est intégralement publiée dans Profession Artiste (sortie le 25 nov./S. Le Sagère, Editions Irma).
Philippe Coulangeon est sociologue des professions artistiques et des pratiques culturelles, auteur notamment de Les musiciens interprètes en France, portrait d’une profession, DEPS, Paris, 2004. Gérôme Guibert est spécialisé en sociologie économique, s’intéressant plus particulièrement au secteur des « musiques actuelles ». Il a écrit notamment La Production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France, éd. Mélanie Seteun / Irma, 2006.
Stéphan Le Sagère propose une analyse de terrain suite à son expérience et à son expertise après la commission Latarjet et en tant que président de la commission "Structuration économique et sociale" du Conseil supérieur des musiques actuelles (CSMA). Il est également l’auteur de Profession Artiste, éd. Irma, 2007.
Cet entretien croisé est l’occasion de confronter pratiques de terrain, points de vue et analyses scientifiques sur la réalité économique et sociale des musiciens.
De la définition du professionnel…
Philippe Coulangeon : Ce que les musiciens retransmettent de leur vie professionnelle est très éloigné des représentations « héroïques » de la vie d’artiste. Cette mythologie revient quand on s’éloigne du noyau professionnel, mais disparaît complètement face à ceux qui ont « les mains dans le cambouis ». De toutes les formes artistiques, la musique est celle où les conflits de légitimité sociale et culturelle sont les plus forts. Dans mon ouvrage sur les interprètes, j’ai insisté sur ce clivage savant / populaire qui fonctionne très fortement, aussi bien du point de vue de l’organisation de la consommation musicale que dans la vie des professionnels. Le jazz est un bon exemple d’un art venu du « non légitime » et, aujourd’hui, totalement intégré dans les réseaux de diffusion, les caractéristiques de son public, etc. Les politiques, notamment culturelles, sont traversées par la question de la légitimité à travers les travaux sur le rock ou le hip hop… Je suis arrivé au constat que la précarité, même si elle est très forte, n’est pas forcément celle que l’on croit : la plus grande incertitude des musiciens interprètes des musiques populaires porte sur leur capacité à rester dans le « métier », à continuer à vivre en musicien et à ne pas dériver sur des activités périphériques qu’ils n’ont pas nécessairement choisies (enseignement ou animation). Il s’agit d’une véritable précarité identitaire, une vraie peur de perdre son image au fil des années.
Gérôme Guibert : Lors de mes enquêtes sur les musiciens qui fonctionnaient en projets collectifs (les groupes), je suis passé d’une enquête quantitative sur un département à une enquête beaucoup plus qualitative qui a donné la typologie en cinq sortes : de « l’amateur-jeune » à l’artiste « professionnel major » en passant par « l’intermédiaire ».
PC : Je pensais que le grand nombre de travaux menés était lié à l’augmentation de la population de ces métiers ; mais les questions sociales et les préoccupations politiques ont contribué à l’éclosion de ces travaux jusqu’à ce qu’une demande institutionnelle se fasse sur la connaissance de ce milieu.
GG : Plusieurs cas de figures sont à prendre en considération : l’interaction entre un groupe et les individus le constituant « la défense d’un bien commun « et le cas où il s’agit d’amateurs et non de professionnels ! J’ai envisagé la sociologie des contextes étudiés en croisant les évolutions des contextes économiques (moyen terme), juridiques (long terme) et technologiques (court terme). Depuis quelques années, du point de vue des professionnels, c’est-à -dire de ceux qui cherchent à gagner leur vie à travers la musique, des tendances centrifuges à l’éclatement du groupe ont entraîné des pratiques beaucoup plus individuelles : les cachets d’intermittents sont individuels, tout comme les droits d’auteurs. Du point de vue des groupes, il y a mise en place de stratégie pour continuer son projet tout en étant rétribué légalement. Par exemple, des musiciens sont remplacés par des machines, les groupes peuvent posséder des effectifs à géométrie variable en fonction des contextes de jeu… Dans l’analyse de Stéphan, la scène est mise en avant : il y a d’abord l’interprétation scénique, l’interprétation non scénique, comme les sessions d’enregistrement, et enfin les autres activités : enseignement, formation. Certains musiciens-interprètes opèrent cette diversification interne, d’autres encore vont vers une diversification externe, vers d’autres métiers. Ces pluriactivités posent des questions complexes en termes de statut. Surtout si l’on ajoute que, dans le secteur des musiques actuelles, ces pluriactivités sont, dans une certaine mesure, favorisées. Par exemple, on ne conçoit pas qu’un enseignant ne soit pas, dans le même temps, quelqu’un qui possède une activité scénique, comme l’évoque le rapport Authelain (La formation de musiciens pour le développement de la pratique des musiques actuelles, DMDTS, 1997). Stéphan Le Sagère : En pleine crise de l’intermittence et en plein questionnement sur l’avenir des professionnels du spectacle, lors de la parution du rapport Guillot (Analyses et propositions des partenaires sociaux du secteur sur l’emploi dans le spectacle, MCC, 2005), les chiffres ont témoigné de la fragilité du secteur : 80 % des intermittents perçoivent 1,1 Smic hors Assédic. Or le chiffre beaucoup plus parlant du rapport Guillot est de 50 % à 0,4 Smic. Avec des revenus du spectacle aussi bas, le problème pour les artistes, et en particulier les musiciens, est de savoir comment envisager le professionnalisme dans ce secteur. Cette étude a montré les failles de l’intermittence et témoigne de sa mort programmée. Cette étude permet également de répondre à la question de la formation professionnelle en fonction de la perspective d’emploi.
PC : Les différentes perspectives d’insertion ne sont pas indépendantes des questions de formation. Ce qui rejoint les différentes images d’Épinal du VRP multicarte qui court les cachets et a besoin de compétences et d’adaptation.
On s’est intéressé à tous les interprètes du moment où ils percevaient un cachet. Ce qui revenait à ne traiter que les personnes déjà insérées professionnellement. Ce n’est pas la meilleure méthode pour étudier les différents modes de professionnalisation : comment passer de la pratique en amateur ou d’un cursus de formation à un statut de professionnel ? Il faut comprendre ce qui différencie les trajectoires aboutissant (ou pas) à une pérennisation dans l’activité de musicien. Il est très difficile d’avoir une vision d’ensemble, car on ne peut envisager la population de départ.
GG : Il me semble que la population de la Caisse des congés spectacles (source de l’étude de Philippe Coulangeon) concerne une population déjà assez bien insérée : 72 % de la population qui perçoit des cachets d’intermittent est indemnisée. Dans mon enquête en Vendée, 47,3 % des groupes interrogés (sur une population de 244 groupes) déclaraient ne jamais signer de contrats, mais, pour la plupart, les musiciens ici impliqués font très peu de concerts. On est là dans l’amateurisme et il y a de grandes disparités. En termes de quartiles, si on sépare en quatre parts égales la somme totale des concerts réalisés, on a, en bas, 70 % des groupes pour le premier quartile (ils font en moyenne 4,5 concerts par an) et au sommet 4 % des groupes pour le dernier quartile (ils font en moyenne 69 concerts par an). Par ailleurs, et pour te rejoindre concernant la méthodologie, plus les musiciens sont professionnels et plus la logique du collectif s’étiole, même si elle ne disparaît pas obligatoirement.
SLS : Nous avons un problème de définition du terme de musicien professionnel. Ce qui fait que l’on est professionnel, c’est de gagner de l’argent, ensuite cet engagement doit s’inscrire dans la durée. Puis vient la quête de la reconnaissance d’autrui (de ses pairs), qui est le plus constitutif de la professionnalité. En se mettant d’accord sur ces critères, on pourrait atteindre une relative objectivité qui réglerait le problème du collectif par rapport à l’individu et du groupe face au musicien.
… À une imprécise réalité chiffrée et statistique !
PC : Délimiter la population à partir des données de la Caisse des congés spectacles n’est pas la plus mauvaise méthode, malgré les problèmes de sous-déclaration et de travail au noir, car chez les musiciens actifs (amateurs comme professionnels), rares sont ceux qui ne déclarent jamais rien. En s’appuyant sur plusieurs rapports et enquêtes, il s’avère que le « black absolu » est très rare : on a plutôt du « gris », combinant cachet déclaré et non déclaré (volontairement ou pas). L’évaluation que l’on peut faire est relativement fiable à partir des données de la Caf, même si les autres caisses sociales (comme les Assédic) ne possèdent pas de nomenclature précise pour chaque corps de métier. Ces données rejoignent celles du recensement. Il y a pourtant eu un assainissement des pratiques : il y a dix ans, les musiciens de jazz de 50 ans et plus, racontaient qu’au cours de leur carrière, ils avaient été parfois dans la situation du 100 % black.
GG : Je suis d’accord sur le point de la différence générationnelle dans les pratiques qui a d’ailleurs entraîné des problèmes et des conflits. Certains pratiquants qui entrent dans l’activité, qui sont amateurs et qui veulent s’exprimer immédiatement idéalisent d’ailleurs cette période ! Ils ne pensent pas à une évolution à moyen terme. Comme dans le milieu des free parties et des teknivals, où il y a eu une revendication officielle d’avoir un espace sans contrôle (la "Zone autonome temporaire" développée par Akhim Bay), jouissant d’une liberté totale. Cette pensée est reprise aussi par d’autres musiciens qui rejettent la Sacem, le droit du travail ou encore les conditions de sécurité.
SLS : Cela ne relève pas le temps de maturation d’un musicien qui voit sa situation évoluer et changer. Par exemple, lorsqu’il va devenir "papa", ses priorités vont changer. Au départ, il vit son rêve : « faire de la musique » quoiqu’il lui en coûte, y compris socialement. Lorsqu’une responsabilité nouvelle survient (devenir père), le social prend ses droits. Il pensera moins par le groupe, mais par la fiche de paye, et ce, toutes générations et esthétiques confondues.
PC : Les logiques d’intervention publique dans le domaine de la musique (hors musique savante) ne prennent pas en compte le statut d’intermittent qui relève de la politique sociale et non culturelle, ni l’individu ni le groupe. L’unité pertinente, c’est le projet. Paradoxalement, on enferme durablement les individus dans l’éphémère. Les dépenses publiques sont très limitées par rapport à celles qui sont attribuées à l’intermittence. Je ne pense pas que l’intermittence va disparaître, au risque d’accroître la fracture entre amateurs et professionnels d’un point de vue économique. Mais ses conditions d’accès seront très limitées et restreintes. Les seuls artistes qui pourront exister seront les « multi insérés ». La menace la plus grande pèse sur les musiciens en dehors des grandes villes qui peuvent exister grâce à l’intermittence : la majorité des musiciens sont en Province et non à Paris. C’est dû à l’intermittence, dont l’enjeu décisif se place au niveau du domaine des politiques culturelles.
Multi activités et flexibilité de l’emploi
SLS : Depuis pratiquement 25 ans, il est possible d’être non pas musicien professionnel mais professionnel de la musique, n’importe où en France, grâce à l’intermittence. Ce qui a engendré des effets sur le développement culturel et les pratiques culturelles. L’impact politique du réaménagement des textes de 2003, c’est le constat fait par les maires des petites villes qui voient disparaître leurs artistes locaux professionnels qui, en plus de l’activité d’interprète, intervenaient dans l’éveil artistique, l’animation dans les écoles, dans le social… Pourtant, il faut reconnaître que le filet protecteur de l’assurance-chômage a in fine contribué à la déstructuration de l’emploi. Structurellement, le système d’intermittence est un système social, et l’assurance-chômage est protectrice contre les effets de la perte d’emploi. Ce n’est pas conçu comme un soutien à la culture. En assurant une relative protection, les partenaires sociaux ont accru la flexibilité… Un des paradoxes au quotidien de la professionnalisation des artistes musiciens est la contradiction entre la nécessité de se faire connaître, de développer une notoriété, et pour ce faire d’aller jusqu’à reculer ses prétentions d’un côté, et, de l’autre, celle d’accéder aux droits sociaux et donc de revendiquer le respect des règles sociales pour y accéder.
GC : Et pour le théâtre, les pratiques sont-elles les mêmes ?
SLS : L’idée de la structure intermédiaire qui va répercuter la responsabilité de l’employeur sur une structure associative est assez récente dans les musiques actuelles, alors qu’elle existe depuis les années 70 dans le secteur du théâtre avec la compagnie.
GC : La multi activité n’est pas la multi reconnaissance ?
SLS : En 1987, nous avions étudié les musiciens professionnels, y compris les professeurs, qui sortaient du CMCM à Nancy. Pour observer l’activité réelle des gens (et ce n’est toujours pas démenti), il faut prendre en compte le capital technique, artistique et culturel de chacun, et la manière dont il est exploité dans divers environnements sociaux et économiques. Il faut ensuite considérer l’importance de toute la transmission du savoir, de l’éveil musical, des master classes, et des activités connexes : programmateur, musicien conseil… Enfin, la dernière source de revenus des musiciens : les droits sociaux. le RMI ou l’intermittence sont un moyen de financer ses activités professionnelles. L’évolution du musicien, depuis 20 ans, reste de l’ordre de la multi activité, que l’on soit connu ou pas. Les composantes sont multiples, les revenus augmentent, mais les pratiques restent les mêmes. Cette situation permet de cumuler et de superposer des sources de revenus différentes, indépendamment du droit même.
GG : Tous les musiciens professionnels sont des professionnels de la musique !
GC : Tous les professionnels de la musique ont plusieurs métiers.
PC : La multi activité reste le seul scénario positif réaliste pour l’avenir de ces métiers. Cela représente la poursuite et l’approfondissement de la socialisation du revenu. Beaucoup de musiciens rejettent cette idée de professionnel de la musique. Un grand nombre ne sont pas prêts d’accepter cette redéfinition de soi.
SLS : Personne n’est obligé d’être professionnel. Le cheminement vers le professionnalisme, c’est le fait de se tourner de soi vers les autres. Or plus tu vas vers les autres, moins tes considérations personnelles pèsent.
SLS : Est-ce que le fait d’être intermittent du spectacle n’est pas aussi une sorte de soumission à des règles sociales qui entraînent l’individu à établir des choix ? Ceux qui sont le plus en phase avec eux-mêmes sont les amateurs vétérans comme les appelle Gérôme dans sa typologie. Ce qui veut dire que, par ailleurs, ils possèdent une activité professionnelle qui ne relève pas de la pratique musicale.
PC : On trouve plusieurs attitudes : certains musiciens préfèrent dire qu’ils font purement de l’alimentaire plutôt qu’affirmer qu’ils donnent des cours à des enfants par exemple. Toutes ces activités connexes rendent aujourd’hui solvable l’activité artistique dans un contexte où le nombre d’artistes est beaucoup plus élevé. On peut d’ailleurs s’en féliciter d’un point de vue diversité et créativité, etc.
GG : C’est vrai, la professionnalisation du secteur en général ajoute une confusion car la première est, coûte que coûte, de joindre les deux bouts en termes de revenu... Lorsqu’on fait du son pour de la publicité avec des logiciels ad hoc, est-on encore interprète de musique populaire ? Où se trouve la limite ? C’est ce qui était posé par la question du DJ de discothèque, même s’il semble que c’est le juridique : est-ce la manière par laquelle on est rétribué qui délimite actuellement la frontière ?
SLS : Depuis le début des années 80, ce qui va de pair avec l’augmentation des activités, le secteur, organisateurs comme managers, sont plus professionnels. Mais la professionnalisation du secteur n’est pas la professionnalisation des musiciens. La situation de ceux-ci ne s’est pas améliorée.
PC : Les capacités de mobilisation collective de ce milieu sont fortes. Peu de milieux professionnels aussi réduits numériquement sont capables de monter des mobilisations aussi spectaculaires. Ces métiers sont populaires vis-à -vis du public : un musicien peut jouer un rôle important pour les jeunes des quartiers défavorisés par exemple. Des catégories de population pas nécessairement très actives sur le plan culturel, ont une image positive de ces métiers-là .
GG : Je n’ai pas constaté ce phénomène sur le public ado. Lorsque j’interviewais des jeunes, répétant dans les locaux d’une Smac, aucun ne se sentait concerné par ces problèmes liés au chômage ou aux caisses d’assurance.
SLS : Tout dépend du public interrogé. Dans mon cas, sur plus de cinquante groupes rencontrés, tout le monde se sentait impliqué sur le sujet. Mais il s’agissait de musiciens désirant ardemment vivre de musique.
PC : Il y a forcément un effet d’âge qu’il ne faut pas ignorer. Un public de jeunes, adolescents et post-adolescents, n’est pas confronté à la réalité sociale et économique. Il faudrait les questionner dans une dizaine d’année pour observer l’évolution de leur comportement.
GG : Il y a peut-être un autre élément à prendre en compte, c’est l’esthétique, les genres musicaux interprétés.
Parcours multiples, cheminements singuliers
PC : Les artistes, en particulier les musiciens, prennent une part de risque assez importante et constante. Une définition de ce métier est la prise de risque car il y a toujours une incertitude sur l’avenir.
SLS : La prise de risque pour les musiciens est permanente, elle accentue leurs incertitudes : ils doivent prendre un certain nombre de risques, qui peuvent d’ailleurs leur coûter très cher en termes de carrière.
GC : Par rapport à la reconnaissance de leurs pairs ?
SLS : Il y a de l’autoproclamation et des critères de définition ; mais tu es professionnel du moment où les autres te reconnaissent en tant que tel.
PC : Elle est concrètement importante, puisque les logiques de réseaux fonctionnent ainsi. Si on arrête momentanément une profession, on peut très bien ne plus jamais s’y réinsérer. Il suffit d’observer les chiffres des congés maternité par exemple. Dans cette profession, il y a beaucoup d’entrées et de sorties, mais il faut savoir qu’un nombre important de sortants ne reviennent pas au sein de cette activité.
GG : Les femmes quittent plus tôt la profession que les hommes. L’âge moyen de la pratique pour les femmes est plus jeune que celui des hommes. Si l’âge d’entrée dans la musique ne dépend pas du sexe, le contexte joue. Les filles commencent plus souvent en école de musique et entrent dans des groupes qui fréquentent des locaux de répétition un peu plus tard. J’ai constaté que, le plus souvent, ceux de trente ans qui perduraient dans la musique n’avaient jamais cessé leur pratique.
GC : Pour la notion du groupe, il semble qu’une des caractéristiques des métiers du spectacle vivant soit des constructions de projets : un travail d’équipe qui fait appel à des réseaux. Est-ce que le groupe, par définition, n’empêche pas les gens de se positionner en tant qu’individu sur le marché du travail ?
GG : Cela influe déjà matériellement parlant. En effet, dans toutes les orchestrations guitare / basse / batterie, il y a une part des groupes qui ne peuvent pas jouer si les fonctions de rythmique, de mélodie, etc., ne sont pas remplies par des musiciens. Cela est aujourd’hui relativisé avec le sampleur.
SLS : C’est le problème que nous retrouvons dans l’accompagnement des pratiques, qui peut très bien fermer les musiciens sur eux-mêmes (alors qu’elle doit les ouvrir). On les autonomise par rapport au reste, mais cela réduit finalement les capacités de communication avec les autres groupes, contrairement à la formation individuelle qui t’oblige à aller vers les autres…
GC : Peut-on être musicien professionnel sans maîtriser les nouvelles technologies ?
SLS : Les musiciens sont parmi les artistes les plus en phase avec les évolutions technologiques. Contrairement aux danseurs ou aux comédiens, il y a un instrument entre eux et l’œuvre ; au risque de privilégier la technique.
GC : Avec les nouvelles technologies et les nouveaux logiciels, on peut désormais se passer de studio d’enregistrement.
SLS : En réalité, pour cette question, cela dépend des esthétiques que l’on pratique. Il existe encore beaucoup de studios, et je ne suis pas convaincu par la disparition totale de ces derniers. Les choses se font de façon moins heurtées.
GC : C’est aussi ce que pointe Philippe quand il affirme que les rémunérations provenant de tout ce qui relève de l’enregistrement ont quasiment disparu alors que l’on enregistre beaucoup plus.
SLS : Ce problème date déjà de trente ans. Les gens se sont finalement adaptés.
PC : Il y a un facteur technologique dans le développement de cette économie de l’autoproduction. On le constate chez les rappeurs qui peuvent passer du garage incognito au disque et à la scène. Cela change donc les logiques de l’économie de ce secteur d’activité.
"Artiste : c’est une profession"
GC : Et sur la vision de l’artiste face au public ?
SLS : Je ne vois pas de modifications fondamentales dues à l’effet Star Ac’, hormis une faible prise de conscience sur le fait qu’il faille travailler. à être artiste n’est pas forcément inné (même si ce côté est toujours prégnant) mais on peut comprendre qu’artiste : c’est une profession.
PC : On pourrait faire un parallèle avec le sport. Dans les milieux populaires, la représentation de l’artiste et de l’artiste musicien peut symboliser un outil d’ascension sociale. C’est peut-être moins net en France que dans les pays anglo-saxons. La pratique artistique est perçue comme un outil d’ascension : l’effet Star Ac’ en est la preuve.
SLS : C’est la vision conte de fée. Les gens ne se posent pas ces questions vis-à -vis des musiciens, mais plutôt vis-à -vis des chanteurs. Dans l’esprit des gens, pour être musicien, il faut travailler. Alors que chanteur…
GG : Ils incarnent peut-être pour les classes populaires l’aisance de l’ascension sociale, mais les classes moyennes le perçoivent comme une profession qui permet de ne pas se compromettre. Autour des années 2000, dans les musiques amplifiées, j’ai remarqué que la plupart des nouvelles générations avait suivi des enseignements et des formations, alors qu’une grande partie des trentenaires était autodidacte et sans formations précises. Quoi qu’il en soit, toute chose égale par ailleurs, il semble que ceux qui ont une meilleure maîtrise de la technique (solfège, oreille, connaissance des instruments et / ou du matériel d’amplification, de sonorisation) s’en sortent mieux. C’est sans doute pourquoi, les organismes d’insertion qui traitent de culturel proposent des formations techniques, qu’il s’agisse de plasticiens ou d’artistes du spectacle vivant. Mon interrogation sur l’avenir se pose ici : Est-ce que pour devenir professionnel, il faudra désormais passer par l’exigence des formations ? Existera-t-il encore des groupes comme Nirvana ?
SLS : Oui, il en existera toujours, car là il s’agit de célébrité et non de professionnalisation. Et dans ce cas, ce sont donc les ventes qui permettent de vivre de musique, et non la capacité personnelle du musicien à s’adapter aux situations qu’il rencontre.
Publié le mardi 6 novembre 2007